L'OTAN en crise
Entretien de fond de Celina Jacobs (Rote-Fahne-TV) avec Stefan Engel sur la crise de l'OTAN. Entretien de fond, partie 10
Celina Jacobs (Rote-Fahne-TV) : Nous voici à un nouvel entretien de fond, bienvenue à Stefan Engel. Aujourd'hui, il doit être question de l’actualité et de l'OTAN. La Conférence sur la sécurité du 14 au 16 février à Munich entrera dans l'histoire. Elle est d'une importance capitale pour la politique mondiale.
Stefan Engel : Oui, c'est exact. Juste avant cette conférence sur la sécurité, Donald Trump a eu sa conversation téléphonique annoncée de longue date avec Vladimir Poutine, à condition que les pourparlers de paix sur la guerre en Ukraine commencent dès maintenant. Que cela fonctionne ou non est une autre histoire. Mais il est frappant que cela se fasse sans le gouvernement ukrainien et les gouvernements européens, alliés des États-Unis. C'est une action solitaire non concertée qui plonge l'OTAN dans une crise profonde.
L'OTAN est en effet une alliance au sein de laquelle les partenaires les plus divers coopèrent prétendument sur un pied d'égalité. Mais Trump pratique désormais sa politique de l’« America First » également dans le domaine de la politique étrangère et provoque ainsi ses partenaires européens. Tout cela a suscité beaucoup d’émotion et de questions quant à sa signification. Le président ukrainien Zelensky a annoncé qu'il n'accepterait pas de paix qui ne soit pas conclue avec l'Ukraine elle-même. Les alliés européens ont tenu des réunions mouvementées sur les conclusions à en tirer. Mais le fait est que l'OTAN subit ainsi un tournant et n'est plus en mesure d'agir sous sa forme actuelle.
Celina Jacobs (Rote-Fahne-TV) : Tu dis que Trump plonge l'OTAN dans une crise profonde. Qu'est-ce que cela signifie exactement ?
Stefan Engel : Il semble en effet que les États-Unis se retirent des projets communs de l'OTAN, notamment du soutien à l'Ukraine. Ils disent que les Européens doivent désormais résoudre leurs problèmes seuls, tout en sachant que les militaires européens ne sont pas du tout en mesure de compenser ce que l'impérialisme américain a fourni jusqu'à présent en termes de soutien aux forces armées ukrainiennes et à la société ukrainienne. C’est une situation nouvelle et une carte blanche pour Poutine, qui peut désormais imposer ses exigences dans une très large mesure.
Trump fait en effet des concessions importantes à Poutine. D'une part, il dit que l'Ukraine ne peut en aucun cas adhérer à l'OTAN, ce qui était toujours une option jusqu'à présent. D'autre part, il déclare que l'Ukraine doit faire des concessions à la Russie en lui cédant des territoires ukrainiens. Après tout, environ un cinquième de l'Ukraine est actuellement occupé par la Russie, notamment la région de Donetsk, l'une des plus riches régions en matières premières au monde.
Un objectif de guerre important pour l'Ukraine serait ainsi balayé. Elle voulait défendre sa souveraineté nationale et chasser les troupes russes hors de l'Ukraine. Cela n'est manifestement plus à l'ordre du jour.
Dans le même temps, la Russie est considérée par l'OTAN comme une menace militaire. Les gouvernements européens ne se sentent actuellement pas en mesure de faire face à eux seuls à cette menace. C'est une nouvelle situation de départ qui a immédiatement conduit à la réunion extraordinaire de Paris.
La politique des États-Unis consiste à diviser l’UE et les partenaires de l’OTAN. Trump l’a habilement préparé en faisant entrer dans le jeu des gouvernements fascisants et extrêmement réactionnaires, comme par exemple Orban en Hongrie ou Meloni en Italie, et en établissant certaines relations privilégiées. Ces gouvernements sont du côté de Trump, alors que les principaux représentants des pays européens sont contre le plan de paix de Trump.
Cette situation a manifestement été délibérément provoquée. Elle s’inscrit également dans le contexte que Trump rejette les organisations internationales telles que l'ONU, l'Organisation mondiale de la santé, les accords climatiques de Paris, etc. Il commence à démanteler systématiquement les organisations internationales afin d'augmenter en même temps le poids des États-Unis. Il s'agit d'une politique étrangère impérialiste agressive. Elle ne repose pas tellement sur des alliances, mais plutôt sur la volonté des États-Unis de décider partout de ce qui se passe dans le monde. Cela entre naturellement en contradiction avec les intérêts impérialistes d'autres pays.
Celina Jacobs (Rote-Fahne-TV) : La démarche de Trump est en effet une véritable provocation à l'égard des partenaires européens.
Stefan Engel : Bien sûr. Le vice-président de Trump, Vance, a critiqué les pays européens pour ne pas avoir suffisamment coopéré avec les partis fascistes. En Allemagne, il a appelé à voter pour l'AfD1 et qu’il fallait désormais intégrer l’AfD au gouvernement. C'est une première que les États-Unis s'immiscent dans les débats politiques internes, dans les élections, et qu'ils veulent désormais exporter leur politique fasciste dans d'autres pays.
Vance a clairement dit qu'il fallait soutenir l'AfD, lutter davantage contre les migrants, rétablir la « liberté d'expression ». Il serait contraire à la « liberté d'expression » de combattre les partis et la propagande fascistes. C'est un raisonnement fasciste très démagogique. On voit ainsi comment la nouvelle étape d’agression de l'impérialisme américain est très étroitement liée à la propagation du fascisme sur la scène internationale. Les préparatifs de guerre et le fascisme sont très étroitement liés et devront également être traités dans ce contexte à l’avenir.
Celina Jacobs (Rote-Fahne-TV) : Comment les Européens réagissent-ils maintenant aux actions de Trump ?
Stefan Engel : Les Européens sont frappés à la tête. Ils ne veulent pas couper les ponts avec les États-Unis et espèrent toujours que l'on travaillera ensemble.
En même temps, ils profitent de la situation pour faire avancer leurs propres ambitions impérialistes. Lors de la réunion à Paris, les participants ont discuté de la manière de s'armer ensemble à l'avenir. Trump a exigé des Européens qu’ils augmentent leur armement à 5 % du produit national brut. Cela représenterait plus de 40 % du budget fédéral allemand. Ce serait une économie de guerre. Trump demande donc ouvertement une économie de guerre en Europe, et les Européens ne s'y opposent pas clairement. Ils disent certes que « c'est un peu trop ». Mais les partis fascistes comme l'AfD en particulier en sont de véritables fans. L'AfD a tout de suite déclaré que ce serait juste. La candidate2 de l'AfD, Weidel, affirme que cela ne suffirait même pas. Les alliés fascistes de Trump sont les protagonistes de cette politique agressive.
En même temps, c'est aussi une méthode pour relancer l'économie. Pendant toute la discussion, les actions des entreprises d'armement ont immensément augmenté. En l'espace de quelques jours, l'action Rheinmetall à elle seule a grimpé de près de 300 points, passant de 700 à près de 1 000 points. Toutes les valeurs de l'armement ont littéralement explosé, de 20, 30, 40 pour cent.
Le réarmement serait donc en même temps un moyen de relancer l'économie. Vance a ouvertement critiqué les gouvernements de dépenser beaucoup trop pour les questions sociales. Ils devraient consacrer cet argent à l'armement et bien sûr acheter les équipements militaires aux États-Unis.
Il s'agit donc ici d'un réarmement financé par les acquis sociaux des larges masses. Le tournant réactionnaire annoncé notamment par la CDU/CSU et l'AfD prend ainsi un nouveau contenu. On peut s'attendre à quelques surprises.
Celina Jacobs (Rote-Fahne-TV) : Olaf Scholz3 se montre toujours si réservé. Pourtant, le gouvernement fédéral a déjà adopté en 2023 des lignes directrices en matière de politique de défense. « Operation Deutschland » est le nom du document.
Stefan Engel : C'est exact. Ce document comprend un réarmement complet de l'Allemagne, une militarisation énorme. Cela se réfère à la reconstruction de la Bundeswehr, qui doit être rendue apte à la guerre d'ici 2029. Il prévoit également que l'industrie allemande s'oriente vers la production de guerre. Il s'agit aussi d'une campagne idéologique visant à créer une « volonté de défense » au sein de la population. Ils ont manifestement beaucoup de problèmes pour y parvenir.
Ce plan d’opération pour l'Allemagne vise à faire de l'Allemagne l'armée la plus puissante d'Europe et à lui faire jouer un rôle de leader en Europe. Cela a bien sûr des conséquences très importantes dans tous les domaines de l'économie, de la politique, etc.
Si l'on examine attentivement ce document, on constate qu'il ne correspond pas aux déclarations officielles du gouvernement Scholz. Scholz fait semblant de croire qu'il faut être prudent. En particulier avant les élections, il se présente comme celui qui préserve l'Allemagne des aventures guerrières. En réalité, ce document intitulé « Operation Deutschland » émane du gouvernement fédéral et a été coordonné avec lui. Il y est écrit que la Bundeswehr doit redevenir une armée de conscription. Par un « travail d'information », une propagande de la Bundeswehr doit être lancée dans tous les domaines de la société, dans les écoles, les universités, à la télévision, etc. Nous devons donc nous attendre à pas mal de choses. Tout cela sera financé par les prestations sociales de la population, qui doivent être radicalement réduites.
Celina Jacobs (Rote-Fahne-TV) : Que pense la population de ces projets ?
Stefan Engel : La population n'est pas très enchantée des préparatifs de guerre. C'est un problème majeur. On ne peut pas faire la guerre sans le soutien de la population. Nous allons assister à une vague de chauvinisme.
Il y a déjà toute une série de discours visant à justifier pourquoi « nous » devons absolument nous armer : Une guerre d'agression de la part des Russes serait imminente. Nous avons déjà entendu cette justification dans les années 1970, lorsque l'Union soviétique existait encore. Aujourd'hui, elle est encore renforcée par la guerre en Ukraine. On fait naître chez la population la peur de devoir se défendre. On veut ainsi réduire les réticences à l’égard de la guerre.
Cette propagande de la peur est au cœur de cette ligne d'argumentation chauvine. Elle est pour le moins partiale. Car l'agression ne vient pas seulement de la Russie, elle est aussi le fait de l'OTAN. Après la réunification, l'OTAN s'était engagée à ne pas s'étendre vers l'Est – et aujourd'hui, elle se trouve à la frontière de la Russie. Presque tous les anciens pays du CAEM, qui se trouvaient alors dans la zone d'influence de l'Union soviétique, sont désormais membres de l'OTAN et sont devenus une zone de déploiement contre la Russie.
Dans la guerre en Ukraine, il s'agit également de savoir comment intégrer ce grand pays industriel riche en matières premières dans sa sphère d'influence : Réussira-t-on à faire entrer l'Ukraine dans l'OTAN ou l'UE, ou la Russie parviendra-t-elle à ramener l'Ukraine dans sa sphère d'influence ?
Il est donc partial de dire que « le Russe est l'agresseur et que nous sommes les défenseurs ». Cela ne correspond pas à la réalité. Il s'agit d'un affrontement impérialiste qui est le résultat de la concurrence acharnée qui s'est développée ces dernières années. Cela a commencé avec la crise économique et financière mondiale de 2008-2014, lorsque la production internationalisée est entrée dans une crise profonde. À partir de là, se sont développés à la fois des gouvernements fascistes dans les pays impérialistes et des conflits exacerbés pour les sphères d'influence. La Russie a occupé la Crimée. On peut également y compter la guerre d'Israël contre les Palestiniens, contre le Liban, contre différents pays du Moyen-Orient, ainsi que la guerre au Soudan. Il s'agit toujours de sphères d'influence.
Cette confrontation doit être menée de manière à s’opposer à l'impérialisme dans son ensemble, qui va de pair avec la guerre et la menace de guerre, avec la militarisation et, désormais, avec le fascisme. Telle est la nouvelle conclusion que nous devons tirer.
Celina Jacobs (Rote-Fahne-TV) : Quelle est donc maintenant la réponse du MLPD sur ce qu'il faut faire dans cette période ?
Stefan Engel : Tout d'abord, ce conflit a également conduit à une crise de ce que l'on appelle « l'ordre fondamental libéral et démocratique ». Cela signifie que la manière dont on gouverne et fait de la politique jusqu'à présent n'est plus adéquate. Un autre style se dessine. Ce qu'ils préféreraient, c'est que l'on gouverne comme aux États-Unis. Le candidat à la chancellerie de la CDU, Merz, a déjà annoncé qu'il se sentait appelé à le faire. Il souhaite fermer les frontières dès le premier jour après les élections fédérales. Mais le premier jour, il n'y a pas encore de parlement. Cela semble donc jouer de moins en moins un rôle, comme on le voit aux États-Unis.
Trump gouverne depuis le premier jour de son investiture sans cabinet, sans parlement. Il ne gouverne que par des décrets. Les tribunaux américains ont annulé plusieurs décrets. Maintenant, la Cour suprême doit déterminer si le pouvoir exécutif de Trump est supérieur aux lois. Si l'on décide que Trump peut faire ce qu'il veut, alors nous aurons vraiment des conditions fascistes. Cette tendance existe dans tous les pays impérialistes.
C'est une question importante de savoir ce que veulent les gens. Veulent-ils soutenir la tendance au fascisme, par exemple en votant pour l'AfD, la CDU/CSU, le BSW ou le FDP ? Ou s'y opposent-ils ? Cette importante décision sur l'orientation future est à prendre.
Celina Jacobs (Rote-Fahne-TV) : Merci beaucoup, Stefan, pour cet entretien instructif. Nous espérons qu'il aura apporté de nouvelles idées et de nouveaux arguments. Nous nous réjouissons déjà de la prochaine édition, qui aura lieu le 24 février. Nous nous y retrouverons pour analyser les résultats des élections.
1„Alternative für Deutschland“, Parti fasciste allemand
2Candidate aux élections au Bundestag
3Chancelier du dernier gouvernement allemand
